Un jeune casque sur les oreilles assis par terre attend, comme nous tous.
Une patrouille de flics arrive. Le jeune n’a pas de masque. Contrôle. Je m’apprête à lui donner un masque (j’en ai tout un stock dans mon sac). Le jeune est apparemment bien bourré… Il dit qu’il est militaire, les flics ont un doute et lui demande ses papiers. Je me perds dans mon sac … et finalement je le referme et ne sors pas le masque : Le côté bourré et militaire, j’avoue, m’a stoppée, tout à fait connement.
À ce moment-là, une femme, noire, d’un certain âge avec deux grands sacs de supermarché passe rapidement et donne à l’un des flics un masque en pointant le jeune, et file prendre son train. Sans un mot. Spontanément. Quelle belle leçon : pour moi, pour les flics, pour le jeune. Le flic indique au jeune la femme qui lui a donné ce masque et qui s’éloigne déjà… Cette femme de dos à présent, avec deux gros sacs et un petit garçon d’une douzaine d’années … sans attendre aucun merci, sans se retourner a fait ce qui lui semblait juste : donner ce qu’elle pouvait donner, à un inconnu qui allait avoir plus de soucis que ce qu’il n’avait déjà.
Bravo madame. Les flics s’en vont très poliment, en souhaitant une bonne journée au jeune, qui lui galère à mettre son masque : du coup il demande à un groupe de jeunes qui passent, comment faire : connexion, connivence, …
Cette ligne est celle des beaux quartiers comme on dit dans notre petite commune de banlieue. La gare de départ de la ligne U est en pleine forêt de Marly, près de St Germain-en-Laye, si si, c’est étonnant. Il faut évidemment y venir en voiture (ou en bus, mais là c’est moins classieux et moins rapide), rouler un peu en forêt et se garer dans une grande allée goudronnée entourée d’arbres, forcément.
J’avoue que comme démarrage de journée de boulot c’est sympa. Ensuite, vous marchez 3-4 minutes pour arriver à une jolie petite gare style début du siècle dernier qui trône entre 2 voies. Lorsque le train n’est pas encore à quai, on peut continuer d’humer avec bonheur l’odeur de la forêt au réveil, écouter le pépiement des oiseaux qui se souhaitent le bonjour dans un charmant bordel. Il m’est même arrivé de voir des petites biches se reposer le long de la voie, juste après le bout du quai. Ha savent vivre les bourgeois quand même. C’est autre chose que la gare d’EVRY Courcouronnes !
Ensuite, une fois dans le train, le charme se poursuit car le paysage est toujours verdoyant avec des trouées laissant apparaître de magnifiques maisons bourgeoises… parfois avec piscine… L’Étang-la-Ville, Bougival, Louveciennes, Marne-la-Coquette… puis la verdure s’éclipse, le béton se densifie jusqu’à La Défense : là on laisse descendre les hommes à costumes et ordinateurs portables importants, vont gagner plein de sous, …du moins leur société. Il y a aussi beaucoup de femmes « importantes » qui descendent : coiffure et maquillage impeccables, légère odeur de parfum dans les pans de leur manteau épais et duveteux. Elles ont aussi l’ordinateur portable… faut croire qu’ils bossent tous chez eux le soir, après leur journée. Sont in-dis-pen-sables !
Bon, moi je continue jusqu’au terminus, St Lazare : autre ambiance. Comme l’impression d’avoir quitter un cocon de verdure, de luxe et de quiétude pour être lancée dans de l’hyper urbain, hyper mouvementé, hyper speed, hyper (trop) humain…
Je m assoie, banquette de 4. Face à moi 2 très jeunes femmes : une jeune maman (elle tient un bébé et est embarrassée de sacs : sac à main, sac à langer, sacs de fringues à 2 balles,…). Elle est noire, très en chair avec un magnifique turban vert et bleu fermé par un joli enroulé de tissu façon escargot juste au-dessus du front. Très apprêtée et vraiment belle. A côté d elle, une jeune indienne ou sri lankaise, peau assez foncée, visage fin, de grands yeux vifs, intelligents.
Les deux sont habillées de façon classique (petit pull, blouson pantalon). La jeune indienne a un sourire figé, béat, de grand yeux rieurs qui illuminent son visage. Elle a un regard incroyable, plein de vie.
La jeune fille noire qui tient le bébé a, comme toutes les mamans africaines que j’ai pu voir, l’assurance et la maîtrise des gestes sûrs d’une maman confirmée malgré sa jeunesse : elle n’est encore qu’une adolescente.
Son bébé , environ 3-4 mois pas plus, est engoncé dans une combinaison « babygro » genre nounours en polaire rose . Ce bébé, certainement une fille donc, a des yeux ronds, très foncés, grands ouverts, un visage tout aussi rond et plein de cheveux. Juste à croquer. Sa combinaison est bien trop petite ce qui l’oblige à avoir les 4 membres totalement ouverts : elle me fait penser à une étoile de mer. Sa mère la lève, la penche de droite à gauche pour la faire rire (toujours bras et jambes totalement écartés) et la tend à la jeune indienne qui jubile comme s’est pas permis à l’idée de tenir cette petite. Elle attrape l’étoile de mer qui m’observe autant que je l’observe, elle ne me quitte pas des yeux. Gros contact.
La maman sort un biberon contenant une dose de lait en poudre et un petit thermos devant contenir l’eau chaude. Pendant quelle prépare le biberon (tout ça avec les secousses du métro, hein. Des gestes sûres et une maîtrise qui m’impressionnent encore), la jeune indienne tient la petite assise sur ses genoux, toujours avec bras et jambes en croix tellement elle ne peut les plier. La petite me regarde toujours de ses 2 billes marron interrogateurs, petite bouche lippue surmontée de 2 belles joues fermes. Craquante. La maman la reprend. L’étoile de mer refait un passage de droite à gauche cette fois ci, flux et reflux. La voici bien calée dans les bras de super maman, le biberon vissé dans la petite bouche goulue qui tête. Yeux grands ouverts, la petite boit. L’indienne la regarde, attendrie, sans doute un peu envieuse, mais heureuse de participer à ce moment. Une grande et belle complicité règne entre ces 3 là.
Hélas, me voilà arrivée, je dois descendre. Je me lève et je sors de la rame. Je laisse cette petite étoile de mer entre de bonnes mains et cela me réjouit.
Je monte dans la rame, station Place d’Italie. Immédiatement, un jeune homme, type maghrébin, de beaux cheveux noirs bouclés, de grands yeux rieurs, beau comme un dieu, à peine 20 ans… se lève de son strapontin pour me l’offrir. Il était en train de boire une canette de bière et ses yeux étaient humides, passablement éméchés. Son geste était touchant car spontané, sincère. Il voulait me faire plaisir, à moi une femme un peu vieille… surtout par rapport à lui. Lui rappelai-je sa mère ? Aurait il osé se lever et me proposer sa place s’il n avait pas été un peu soûl ? Ou bien était il défoncé ? Que de question en 1 fraction de seconde… ce garçon m’interpelle. Évidement je refuse sa place tout en le remerciant. Le metro ralentit et le haut parleur annonce la station « Richard Lenoir ».
A ce moment, sur le strapontin d’à côté de mon beau jeune maghrébin, un homme noir, environ 30-40 ans (peut-être plus), s’éclate de rire en répétant « haa le noir ! Mais il est où le noir ?? Haaa ha Richard le noir houhou ! ». On se regarde tous les 3 et on se met à rire de bon coeur comme 3 bons vieux potes peuvent rirent à une blague un peu douteuse de l’un d’eux. Nos regards se croisent, une fois l’un, une fois l’autre, nos regards et nos rires tournent entre nous et nous sommes unis. Instant fugace de complicité humaine, entière. Le trajet se poursuit… silencieux, trop silencieux… tout rentre dans l’ordre, lisse.
Des gens montent à la station suivante sans savoir quelle bonne blague avait animé cette partie de la rame l’instant d’avant.
Instant trop bref, j’aurais aimé passer un peu plus de temps avec ces 2 là, magnifiques. Se connaissaient-ils ? Quelle était leur vie ? Vie de galère illuminée d’alcool ? Sans doute… mais aussi brassée de beaucoup d’humanité.
Une jolie jeune brune avec port de tête digne et lunettes de soleil de star monte dans le train, fuselée dans un pantalon à pince taille 34, talons hauts. Là, les mâles rivés à leurs smartphones et tablettes (parce qu ils sont très branchés, très sérieux et très concentrés… spécialement sur cette ligne) gardent un œil sur leur écran « rétina » mais l’autre est instantanément projeté vers la jolie brunette. Celle-ci passe dans l’allée centrale avec un joli déhanché et s’installe juste en face de moi.
Le train repart, la jolie brune ôte ses lunettes de soleil. J’assiste alors à une incroyable leçon de féminitude…
Déballage de la trousse à maquillage : Khôl, puis mascara, peigne à sourcil, fard à joue… La pose du fard à joue nécessite bien une station : le gros pinceau touffu fait des va-et-vient lents et sûrs de l’avant vers l’arrière du visage, à droite puis à gauche. Le visage de la jolie brune se colorise petit à petit et devient celui d une poupée semi vulgaire. Dommage, elle était mieux avant. Elle ne s arrête pourtant pas là : rouge à lèvres… rouge vif. Là, malgré les soubresauts du train, le trait est parfait. Frottements lents et sûrs de la lèvre supérieure sur la lèvre inférieure. Puis re trait rouge, puis re frottements. Tout ça est très savamment fait.
Les voyageurs se sont tous replongés dans leurs livres, journaux ou smartphones, comme par discrétion pour ne pas déranger ce moment d’intimité. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ils gardent un œil sur la belle, comme si elle leur avait fait une promesse, cette jolie brune qui continue de s’activer comme si elle était seule devant sa coiffeuse.
Je reste interloquée devant tant d’applications savantes et intimes, au milieu d’inconnus si proches, et dont le résultat est, selon moi, pour le moins douteux. Au final, son visage ressemble à celui de tous ces mannequins de magazine : pas vraiment beau, mais hypnotique.
Le train continue d’enfiler les stations et la jolie brune trop fardée remet ses lunettes de soleil sans doute moins pour la vive lumière d’été qui traverse les vitres du train que pour se cacher des regards des passagers… Ou l’inverse, j’avoue que je ne sais plus.
Elle sort un livre. Je me serais plutôt attendue à un magazine féminin du genre de ceux qui n’enseignent rien si ce n’est justement « comment être belle (et accessoirement …provocante) en toute circonstance ».
Je me penche discrètement pour voir le titre du livre : « La condition humaine » d’André Malraux !! Nan.., c’est pas possible… Je cherche le moindre indice qui m’indiquerait qu’elle ne lit pas, qu’elle fait semblant derrière ses lunettes rondes et noires ou bien qu’elle s’est trompée de bouquin ce matin en partant prendre son train.
Mais non, le livre est ouvert au 1/3, elle a bien tourné les pages à la vitesse normale d’un lecteur normal. Seul élément déroutant : elle garde un port de tête très hautain, le livre tendu, les jambes serrées au garde-à-vous comme le font les jeunes filles de bonnes familles…
,Mais déjà le train arrive en gare. Terminus, tout le monde descend. Bon, elle n’aura lu que 3 pages… en 25 mn de temps de transport… ce n’est pas fameux, mais elle est maquillée…